Je me documente beaucoup sur le chien et tout ce qui y a
trait, de près ou de loin. Je lis énormément de publications, qui sont pour
beaucoup en anglais, nos collègues outre-Atlantique étant plus avancés que nous
dans l’étude du comportement et l’éducation respectueuse du chien.
Au cours de
mes pérégrinations sur la toile, je suis tombée sur un article, écrit par le Dr
Jen, que j’ai eu envie de partager avec vous pour deux raisons :
- d’une
part il traite d’un sujet très important et souvent oublié : les périodes
de peur dans le développement du chien, qui peuvent avoir des répercussions
durables sur le comportement et l’équilibre du chien, et qui doivent être prise
en considération
- l’utilisation
des « clôtures invisibles », qui pour moi devraient être interdites à
la vente au même titre que les autres colliers électriques (à décharge ou à
spray) car elles créent des dommages graves sur les chiens
Si vous constatez une erreur dans ma traduction, n’hésitez
pas à me la signaler, mon anglais est un peu rouillé malgré tout…
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Il y a des années, quand j'étais étudiante vétérinaire senior,
travaillant comme externe avec le service de comportement clinique de l’OSU,
j'ai vu un cas qui est resté gravé dans ma mémoire et n'a jamais disparu.
La patiente était une belle femelle berger allemand de 3
ans, que je vais appeler Heidi. Elle était une chienne attachante à bien des
égards - amicale et douce avec les gens, très éveillée, et rapide dans l’apprentissage.
Dans la salle de consultation, elle était calme et bien élevée, nous approchant
facilement avec la queue qui remue pour avoir des caresses et des friandises.
Heidi avait un défaut, et malheureusement, il était grave -
elle était intensément, violemment agressive envers les autres chiens. Elle a
dû être amenée à l'hôpital vétérinaire par une entrée à l’arrière du bâtiment
pour éviter d’avoir à traverser le hall, et il a fallut s’assurer soigneusement
qu'elle ne rencontre pas d'autres chiens sur son chemin, dans ou hors de
l'immeuble. Sa propriétaire était une petite femme d'âge moyen, qui aimait
Heidi et était profondément attachée à elle. Elle gérait les agressions d’Heidi
du mieux qu'elle pouvait depuis longtemps, mais les choses empiraient.
L'incident qui l'a finalement incitée à chercher un
vétérinaire comportementaliste avait eu lieu la semaine précédant sa visite chez
nous. Un petit chien sans laisse, appartenant à un voisin dans sa résidence,
les avait approchées, elle et Heidi, au cours de leur promenade quotidienne.
Elle a essayé de tirer Heidi avec elle et de s’éloigner rapidement dans la
direction opposée mais l'autre chien a commencé à courir vers elles, et Heidi est
devenue frénétique pour l’atteindre, grognant et s’époumonant au bout de sa
laisse. En désespoir de cause, sa propriétaire a plaqué Heidi au sol et s’est
couchée sur elle, en utilisant son poids corporel pour garder son chien de 80 livres
qui se débattait cloué au sol, jusqu'à
ce que l'autre chien ait été récupéré en toute sécurité par un voisin et emmené
ailleurs.
Le propriétaire, en larmes quand elle nous a raconté
l'histoire, a conclu en déclarant qu'elle était certaine qu’Heidi aurait tué
l'autre chien si elle avait été en mesure de l'atteindre.
Une triste histoire et une situation difficile, c’est sûr,
mais pas différente d'autres cas que nous avons vus au service comportement. La
plupart des problèmes d'agressivité chez les chiens peut être reliée à une
combinaison passée de mauvaise socialisation, de premières expériences
négatives et / ou de prédisposition génétique à la crainte, mais le cas de
Heidi se distingue pour moi à cause de quelque chose d'inhabituel dans son
histoire - son comportement agressif avait été déclenché très brusquement, en
réponse à un seul incident traumatique précisément au mauvais moment de sa vie.
Selon sa propriétaire, Heidi était amicale et joueuse depuis
ses huit semaines, ne présentant aucun des signes avant-coureurs que nous
voyons si souvent chez les chiots craintifs. Les deux parents avaient des
tempéraments exceptionnels, et étaient sympathiques avec les gens et les
chiens. Elle allait quotidiennement en promenade avec sa propriétaire et rencontrait
régulièrement des étrangers et d'autres chiens sans aucun problème. Jusqu'ici
tout allait bien.
Alors qu'est-ce qui a mal tourné ?
La cour avant de la maison d’Heidi avait une clôture
électrique souterraine jumelée avec un collier électrique, système communément
connu sous le nom de « clôture invisible ». Elle avait aussi un ami canin
en particulier avec qui elle aimait jouer, un jeune croisé Labrador qui
appartenait à un voisin. Le chien venait souvent dans la cour d’Heidi pour
jouer avec elle, et on pouvait les voir tous les deux luttant et se chassant l’un
l'autre autour de la maison presque tous les jours.
Un après-midi quand Heidi avait environ sept mois, quelque
chose est arrivé.
Elle et son copain chien jouaient et luttaient comme
d'habitude quand ils se sont approchés par inadvertance trop près de la limite
de clôture. Heidi a reçu un choc électrique par son collier, a gémit de douleur
et de confusion, et s’est retournée de manière agressive vers l'autre chien -
qui, pour sa part, a réagi pour se défendre et a riposté. Un véritable combat chien
a éclaté en un clin d'œil, et les chiens ont dû être séparés physiquement pour
pouvoir se calmer.
Dans la plupart des cas, ce type d'incident serait effrayant
et désagréable, mais rapidement oublié. Mais pour Heidi, il a changé sa vie.
A partir de là, c’est comme si un interrupteur avait été basculé
dans sa tête. Elle bondissait et grognait après le chien du voisin dès qu’il s’approchait
de la cour, et n'a plus jamais joué avec lui. Au cours des semaines suivantes,
elle a commencé à réagir de manière agressive envers les autres chiens en
promenade, au bureau du vétérinaire, et à la fenêtre de la maison. Sa
propriétaire avait peine à comprendre pourquoi sa chienne, auparavant douce et
gentille, se conduisait soudainement comme Cujo.
La réponse se trouve dans une conjoncture parfaite de
variables, assemblées de la pire façon possible.
J'ai parlé de la période de socialisation des chiots dans un
post précédent – c’est une phase de développement pendant laquelle les chiots découvrent
le monde qui les entoure. Les choses qu'ils voient et qu’ils expérimentent
d'une manière positive au cours de cette période seront considérées comme
normales par la suite.
Mais - et ceci est un grand MAIS - le revers de la médaille
est aussi vrai. Les jeunes chiens passent par deux différentes « périodes
de peur » pendant leur croissance, qui sont essentiellement des moments où
le chiot est extrêmement sensible à de mauvaises expériences.
La première se produit de manière assez prévisible à l’âge d’environ
8-10 semaines. Le chiot est très jeune à ce moment et les propriétaires gèrent (espérons-le!)
son environnement avec soin et l'exposent à beaucoup choses sympathiques à des
fins de socialisation, donc souvent cette première période de la peur passe
sans signe évident ou changement de comportement - de nombreux propriétaires ne
remarquent d’ailleurs pas qu'elle a eu lieu.
La seconde est plus variable, mais pour la plupart des
chiens, elle représente une période de 2-3 semaines à la fin de l'adolescence,
quelque part entre 6 et 14 mois. Celle-ci est sournoise - elle apparaît lorsque
les propriétaires s'y attendent le moins, longtemps après que leur petit chiot soit
devenu un adolescent indépendant. À ce stade, la plupart d'entre nous donnons à
nos chiens plus de liberté et ne gérons plus aussi minutieusement la manière
dont ils interagissent avec le monde. Ca peut être un choc, donc, quand il
arrive quelque chose à cet âge qui remet toutes nos suppositions en question.
Alors que se passe-t-il pendant la période de la peur,
exactement ?
Vous remarquerez peut-être que votre chien adolescent, précédemment
amical et confiant, devient effrayé par certaines choses qui normalement ne le
dérangent pas ... peut-être qu'il refuse d'aller à proximité d'un nouveau
drapeau de jardin dans la cour, ou aboie sur un homme avec une barbe qui lui
dit bonjour dans la rue. Cette augmentation soudaine de la suspicion et de la
réactivité envers les choses de son environnement est normale - aussi longtemps
que vous restez de bonne humeur et ne faites pas grand cas du problème, ça va
passer tout seul et vous aurez votre compagnon familier et enjoué de retour en
2-3 semaines.
La partie dangereuse est la suivante : au cours de ce stade
de développement particulier, le cerveau de votre chien est instable (« à
fleur de peau »), extrêmement sensible à tout ce « mauvais » qui peut se
produire. Une unique expérience effrayante ou douloureuse pendant la période de
peur peut avoir un impact durable pour le reste de la vie de votre chien.
Ce phénomène est appelé l’apprentissage par événement unique
- ce qui signifie qu'il suffit d'une seule expérience pour entraîner une
réaction émotionnelle intense, permanente, à l'élément déclencheur qui l’a
causée. Ceci prend tout son sens pour la survie à l'état sauvage, quand un
jeune loup a besoin d’identifier clairement un dangereux prédateur sans
nécessiter de multiples expériences de mort imminente pour apprendre la leçon.
Mais pour nos chiens de compagnie, ce petit « pépin » particulier
dans le système de traitement de la mémoire peut avoir des conséquences
dévastatrices.
Un exemple on ne peut plus commun :
Quand mon aîné Remy était chiot, il a eu sa première coupe de
griffes dès son arrivée chez moi à l'âge de 9 semaines (rappelons-nous que la
première période de peur se produit normalement vers 8-10 semaines).
Malheureusement, l'une des griffes a été coupée trop court - il a gémit, s’est
débattu, et a saigné brièvement. De la poudre hémostatique a été appliquée pour
arrêter le saignement, le reste des griffes ont été coupées sans incident, et
il semblait parfaitement heureux cinq minutes plus tard.
Pas grand-chose, non ? Pour un chien adulte bien équilibré,
probablement pas.
Cependant ... au cours des quelques mois qui ont suivi, la
coupe des griffes de Remy est devenue progressivement plus difficile. J’ai pris
soin de faire en sorte qu'il ne soit pas « brusqué » à nouveau, et je
lui ai donné systématiquement beaucoup
de friandises et de louanges au cours de la procédure par la suite - mais ça ne
semblait pas faire de différence. Mon chien, habituellement décontracté et coopératif,
devait lutter contre quelque chose qui ressemblait à de la panique, dès que le
coupe-griffes faisait son apparition.
Pourquoi ? Parce que sa mauvaise expérience, unique et isolée,
lorsqu’il avait 9 semaines, avait toujours encore plus de poids que toutes les suivantes
réunies. L’apprentissage par événement unique est une chose puissante.
Et donc, nous avons Heidi. Douce, facile à vivre et
appréciant parfaitement les autres chiens... jusqu'au jour où elle ne l’a plus
été.
Sa propriétaire a quitté l’OSU ce jour-là en ayant retrouvé
du courage, avec un plan de formation pour Heidi et une meilleure compréhension
des choses qui ont fait changer sa chienne de cette façon. Et Remy, une fois
adulte, a appris à nouveau à se tenir debout confortablement pour la coupe des
griffes, après de longs mois de travail minutieux pour surmonter sa peur.
Heureusement, ces revers de comportement ne sont pas insurmontables - avec le
temps et l'effort, les chiens adultes peuvent apprendre à mieux faire face et former
de nouvelles associations plus positives avec les choses qui les effraient.
Alors, que pouvons-nous faire maintenant que nous savons
cela ?
Malheureusement, nous ne pouvons pas garder nos chiens dans
une bulle. Le monde est un endroit imprévisible, malgré nos meilleurs efforts...
nous ne pouvons pas toujours contrôler tout ce qui leur arrive ou comment ils
peuvent réagir. Mais nous pouvons essayer de faire en sorte que les expériences
effrayantes soient rares au cours de ces périodes sensibles du développement.
Et si de mauvaises choses se produisent, nous pouvons les
reconnaître pour ce qu'elles sont, et être proactif pour répondre et traiter la
peur avant que les choses empirent.
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Vous en savez maintenant plus sur les périodes critiques du
développement comportemental du chien, et vous pourrez ainsi mieux les aborder.
N’hésitez pas à partager ce post autour de vous. Encore merci au Dr Jen pour
cet article (et tous les autres !) très instructif.